Le Morbihan, département rural, n’est pas un grand marché pour les jouets ; à la campagne, ceux-ci sont souvent fabriqués par les pères ou par les enfants eux-mêmes. A Vannes, il existe tout de même une demande approvisionnée par les bazars, les "Magasins Modernes" ou ceux proposant des articles de Paris. C’est dans ce contexte qu’un atelier va voir le jour dans les dépendances du château de Rohello en Baden.
Ce château, édifié en 1856 par le vicomte de Gouvello, est cédé en 1879 au comte Louis Maximilien Espérance L’Ecuyer de la Papotière, époux de Lucie Octavie Marie du Fos de Méry. Quatre filles sont issues de cette union. La plus jeune, Anne Louise Marie née au Rohello en 1880, épouse le vicomte Octave Jean Baptiste Marie de Beaufranchet à Baden en 1905. Le couple s’installe au Rohello. C’est à ce couple que l’on doit la création de l’atelier de jouets, quelques années avant la Grande Guerre. Le couple est précurseur.
Le choix se porte sur des jeux de bois, populaires, moins sophistiqués et plus adaptés à notre région. Le bois est un matériau noble résistant, les jouets sont faits pour durer. Grâce à leur solidité, ils résistent à l’épreuve des jeux et se transmettent de l’aîné au benjamin de la famille.
Au début, il s’agit exclusivement de personnages bretons et d’animaux de notre terroir. Les modèles sont nombreux. Par la suite les animaux deviendront plus exotiques, citons par exemple les magnifiques perroquets mobiles, comparables à ceux produits par "Le Jouet de France".
M. de Beaufranchet est aussi un inventeur. Le 20 avril 1914, il dépose à la préfecture du Morbihan une demande de brevet d’invention "d’un système de flotteurs avec ou sans contrepoids pour jouets ou figurines".
Son dossier, suite à diverses modifications, ne part de Vannes que le 21 juillet 1914, soit quelques jours avant la mobilisation générale.
L’expression des visages des personnages est caractéristique de l’atelier. Il s’agit ici de jouets artistiques, chaque pièce peinte à la main est une oeuvre unique.
Il n’y a pas d’utilisation de pochoir ou d’aérographe.
Ces jouets en bois polychromé sont souvent articulés et se présentent parfois sous la forme de jacquemarts.
Certains personnages ou animaux peuvent facilement être confondus avec des oeuvres des célèbres dessinateurs de cette époque : Job, Caran d’Ache ou Benjamin Rabier.
Une fois le jeu terminé, il reste à le conditionner et à le commercialiser.
M. de Beaufranchet a exposé plusieurs fois ses oeuvres lors de congrès de l’Union Régionaliste Bretonne notamment à Châteaubriand en 1917, Guérande en 1920 ou Concarneau en 1923.
Il participe également à des salons comme à Pontivy en 1922.
Les jouets sont écoulés lors de fêtes locales (Quiberon en 1925) ou par l’intermédiaire de commerces locaux.
M. ou Mme de Beaufranchet sillonnent la région à bord de leur voiture équipée d’un moteur de Dion Bouton qui leur permet de réaliser allègrement une moyenne de 35 km/h.
Après la Grande Guerre, la demande de jouets grandit, le jouet en bois se porte bien. L’atelier du Rohello devient trop étroit et M. de Beaufranchet pense à s’agrandir. L’usine ouvrira à Vannes dans le quartier des Grandes murailles, les bureaux, quant à eux, seront situés rue Pasteur.
Après l'ouverture de l'usine de Vannes, M. de Beaufranchet développe un partenariat avec le comte de Sèze, un des ses amis propriétaire du manoir de Toulvern en Baden.
En effet, celui-ci est un véritable artiste, illustrateur de talent, il se charge de dessiner et de peindre les nouveaux modèles de jouets.
Le succès est au rendez-vous et la marque est récompensée par plusieurs médailles au concours Lépine.
Pendant la période de fin d'année, des attractions attirent et fascinent la foule et il devient impossible de circuler devant les devantures des grands magasins.
La tradition est née et elle gagne les grands magasins de province.
Pour "Le jouet breton", M. de Sèze crée plusieurs animations.
Cela consiste à habiller le fond de la devanture d'une toile sur laquelle est peint un décor et d'installer au premier plan des personnages en bois polychromé sculpté; ils peuvent être articulés grâce à une commande mécanique, c'est un véritable spectacle !
M. de Beaufranchet commence à prendre de l’âge, aussi le couple décide-t-il de vendre le fonds de commerce et d’industrie exploité au Rohello.
Ils trouvent un acquéreur en la personne de Georges Bouhébent, propriétaire à Quimperlé.
En août 1930, l’acte de vente est signé chez Maître Roussin, notaire à Vannes.
Mme de Beaufranchet décide de ré-ouvrir un atelier au Rohello. Quelques jouets en bois continuent à être fabriqués (camions, voitures), mais la production se tourne rapidement vers les poupées de chiffon. Mme de Beaufranchet aimait à dire : "fabrique de jouets, fabrique de joie !".
L’atelier, situé à côté du pavillon, en bordure de la rivière d’Auray, brûle en 1948.
La marée étant haute, les habitants des alentours puisent l’eau à la côte. Ils forment une chaîne humaine afin de transporter les seaux et s’emploient à empêcher l’extension de l’incendie avant l’arrivée des pompiers.
La fabrique détruite, c’est hélas, la fin de la création des joujoux. Un autre atelier, "l’Atelier Rustique" est alors installé dans le bourg de Baden, dans l’actuelle rue du presbytère. Il est consacré à la fabrication de lustres, l’électricité arrivant dans le canton.